Aboubacar Somparé, ancien président de l’Assemblée nationale : « Ce sont les cadres guinéens qui font que la Guinée retarde »

Publié le par sorelnice

Après avoir observé un temps de retrait et de silence après le décès du général Lansana Conté, l’ancien président de l’Assemblée nationale et ancien secrétaire général du PUP, Aboubacar Somparé, a fait son retour politique lors d’un meeting du PUP, pour dit-il, apporter son coup de pierre dans le processus de transition en cours en Guinée. 

Votre quotidien Guinéenews© l’a rencontré pour nous parler des raisons de son silence depuis son éviction du pouvoir en tant que dauphin constitutionnel, son avenir politique et celui de l’ex-parti présidentiel. Mais également, son analyse de la décision du président de la transition, le général Konaté, et celle du terrain politique avec cette prolifération de partis politiques. Interview exclusive. 

Guinéenews© : Le 6 mars dernier, le PUP a tenu un grand meeting à son siège de Cameroun. Quel était l’objectif de cette rencontre qui a regroupé certains anciens dignitaires de l’ex-parti présidentiel ? 

Aboubacar Somparé :
 La rencontre du 6 mars était une manifestation de soutien de la Basse Guinée au Parti de l’Unité et du Progrès (PUP). Étant entendu que la Basse Guinée est une organisation de la société civile, c’est-à-dire une organisation régionale non régionaliste. Je donne cette précision parce que nous sommes actuellement dans la fièvre du communautarisme. Ce n’est pas le cas du tout. 

Alors, au cours de cette manifestation de soutien, j’ai profité pour faire ma sortie politique. 

Guinéenews© : Lors de ce meeting, vous avez déclaré qu’on ne peut pas confier la destinée du PUP à des aventuriers de la politique. Que vouliez-vous dire exactement ? 

Aboubacar Somparé :
 Écoutez ! Je voulais m’adresser à tous ceux qui n’ont pas un idéal fixe, parce que je peux vous dire que la classe politique m’a surpris en faisant allégeance aux putschistes quand il y a eu coup d’État. Je me suis dit intérieurement que chacun de nous doit faire une descente psychanalytique pour s’interroger sur les mobiles réels de son action. Si vraiment, on agit pour un idéal, à savoir l’installation d’un État de droit, la promotion de la démocratie, la promotion du développement du peuple équilibré dans la liberté. Alors, on ne peut pas faire allégeance à l’équipe de putschistes. Ce n’est pas possible. Je me suis dit qu’ils (les leaders politiques) ont dû personnaliser le problème en le résumant au problème de Somparé. Comme il y avait rejet, j’ai constaté et je me suis retiré. 

C’est ainsi que j’ai préféré me retirer. Sinon, je ne peux comprendre que les gens qui se battent pour l’instauration d’un État de droit et la promotion de la démocratie, soutiennent un coup d’État. 

Guinéenews© : Depuis le décès du général Conté, que deviennent les autres ténors du PUP qu’on ne voit plus dans l’arène politique ? 

Aboubacar Somparé :
 Écoutez ! Il y en a beaucoup qui ont émigré en allant dans d’autres formations politiques. Tous ceux qui étaient là par calculs en cherchant des postes, sont partis. Maintenant, ceux qui sont restés, sont ceux-là qui croient vraiment au PUP et ils sont militants réels du parti. 

Guinéenews© : Comment expliquez-vous les départs provoqués au sein du PUP le lendemain du décès du général Conté ? 

Aboubacar Somparé :
 Vous savez dans un parti politique, il y en a qui viennent à cause d’un individu et d’autres viennent à cause du programme qui incarne leur idéal. Il y en a aussi qui viennent par calculs et qui se disent : c’est le parti du président, si je milite, peut-être, je me ferai voir pour bénéficier de quelques faveurs du régime, afin d’être nommé à des postes de responsabilité. Alors, ceux-là, dès que le président s’en va, eux aussi ils disparaissent. C’est ce qui est arrivé au PUP. 

Guinéenews© : Justement, beaucoup de Guinéens pensent que le PUP est mort avec le décès du président Conté. Pensez-vous qu’il peut vraiment renaître de ses cendres en cette période de transition ? 

Aboubacar Somparé :
 Rire ! Nous sommes le phénix des bois, c’est-à-dire qu’on renaîtra de nos cendres. Avez-vous vu la manifestation du 6 mars ? Alors, soyez rassurés que notre électorat nous attend à l’intérieur du pays. Il suffit de le réveiller. Et dès après notre congrès du 27 mars, nous allons sortir dans toutes les quatre régions naturelles pour essayer de réunir nos structures. En ce moment, vous-vous rendrez compte que le PUP existe et que nous allons participer aux élections présidentielles. 

Guinéenews© : Comme vous le dites, le congrès du PUP est prévu pour le 27 mars prochain, allez-vous être candidat au poste de secrétariat général ? 

Aboubacar Somparé :
 Le parti a été restructuré. Nous avons maintenant créé le poste de président du parti et le poste de cinq vice-présidences. Il n’y a pas eu de changement au niveau des autres postes au sein du bureau politique national. 

Les vice-présidents auront des attributions particulières qui sont politiques, économiques, administratives. Ils seront chargés de l’administration, de la trésorerie, etc. le poste de secrétaire général n’existera plus. 

Guinéenews© : Allez-vous être candidat au poste de président du parti ? 

Aboubacar Somparé :
 Pourquoi pas ! Je tenterais. Dans tous les cas, si le PUP m’investit, je souhaite être candidat aux prochaines présidentielles. 

Guinéenews© : Mais, le PUP n’est plus au pouvoir pour financer les différentes activités du parti, comment faites-vous pour organiser votre congrès ? 

Aboubacar Somparé :
 Pour organiser notre congrès, nous cotisons et recevons l’apport de personnes de bonne volonté qui nous font des dons. Mais, le parti vit surtout de cotisations. 

Évidemment, quand on n’a pas de bailleurs de fonds attitrés, on est obligés de resserrer la ceinture et d’être réalistes. C’est vous dire que notre congrès ne va pas occasionner beaucoup de dépenses, parce que nous avons par la suite la campagne à mener. Mais, il est quand même une étape nécessaire. Donc, nous avons des donateurs qui viennent s’ajouter à nos cotisations. 

Guinéenews© : Revenons un peu en arrière, depuis le décès du général Conté, vous vous êtes retiré de la vie politique. Quelles étaient les raisons de ce retrait et de ce silence ? 

Aboubacar Somparé :
 C’est quand j’ai constaté que la classe politique a fait allégeance aux putschistes dès le lendemain. J’ai compris qu’on avait personnalisé le problème en en faisant un problème de Somparé. Sinon, quelqu’un qui fait un combat pour un idéal et qui se bat pour la démocratie et l’État de droit, ne peut pas supporter un putschiste. S’ils l’ont fait, parce qu’ils ont estimé que je ne devrais pas mériter la succession. C’est pourquoi, je me suis retiré en gardant le profil bas pour observer. 

Guinéenews© : Mais, de son vivant, tout le monde savait que le général Conté ne pouvait plus diriger la Guinée à cause de sa maladie. Pourquoi, l’Assemblée nationale que vous dirigiez et la Cour suprême, n’ont pas constaté la vacance du pouvoir pour éviter la réaction de l’armée ? 

Aboubacar Somparé :
 Je peux parler pour l’Assemblée nationale, mais la Cour suprême, non. Ce que je puis dire, c’est que le président était malade certes, mais pour qu’on puisse proclamer la vacance du pouvoir, il faut constater qu’il y a un empêchement définitif. Mais, ce n’était pas le cas chez le président Conté, parce qu’il était lucide. Il travaillait en recevant les syndicats et les partis politiques. 

Par conséquent, il n’y aurait pas de raison pour laquelle on allait proclamer un empêchement définitif quand ce n’es pas le cas. Personne n’a pu exhiber le bulletin de santé du Chef de l’État. 

Alors, nous, étant le parti l’ayant porté au pouvoir, on était obligés d’avoir un peu plus de sympathie. 

Guinéenews© : Certains pensent que vous avez été trahi par le président de la Cour suprême, Me Lamine Sidimé qui a retardé à constater la vacance du pouvoir pour que vous puissiez succéder au président Conté. Qu’en dites-vous ? 

Aboubacar Somparé :
 Trahi ? Je ne sais pas. En tout cas, si nous avons proclamé le décès du président un peu tard la nuit, c’était suite à la recherche du premier président de la Cour suprême, Me Lamine Sidimé. Je me suis retrouvé dans mon bureau à 20 heures 30 minutes avec le chef d’état major des armées, le général Diarra Camara, le premier ministre Ahmed Tidiane Souaré, quelques membres du gouvernement et beaucoup d’officiers de l’armée guinéenne. Pendant tout ce temps, le premier président de la Cour suprême était absent. Nous avons attendu et l’a fait rechercher jusqu’à minuit. C’est pourquoi, tout a été fait avec un peu de retard. Est-ce que c’était une trahison ? Je ne sais pas. 

Guinéenews© : Il y a eu beaucoup de rumeurs sur les circonstances du décès du président Conté, peut-on savoir quel jour est-il décédé ? 

Aboubacar Somparé :
 Le président Lansana Conté est décédé le lundi 22 décembre 2008 à 18 heures et quart. Ça, c’est certain. 

Guinéenews© : Comment avez-vous été informé ? 

Aboubacar Somparé :
 J’ai été informé par son médecin traitant et sur la demande du président. Avant de mourir, il a dit à son médecin traitant : « quand je vais mourir, il faut informer Somparé. C’est lui qui va proclamer la nouvelle ». C’est pourquoi, quand il est décédé à 18 heures et quart, le temps de faire toutes les formalités traditionnelles, il est allé chez moi à 20 heures pour m’informer officiellement. De là, j’ai immédiatement informé le premier ministre et le chef d’état major général des armées. Et nous nous sommes retrouvés dans mon bureau pour pouvoir annoncer la nouvelle au peuple de Guinée. 

Guinéenews© : A la prise du pouvoir, comment avez-vous apprécié la réaction des militaires qui ont pris le pouvoir avant les obsèques du général Conté ? 

Aboubacar Somparé :
 C’était quelque chose de prévisible. Parce qu’au mois de mai 2008, il y a eu un mouvement de militaires. Donc, on pouvait prévoir et pressentir qu’au décès du président, il y aura prise du pouvoir par l’armée. C’est ce qui a été fait. 

Guinéenews© : Quand le capitaine Dadis avait pris le pouvoir, étiez-vous en contact ? 

Aboubacar Somparé :
 Quand le président Dadis a pris le pouvoir, il m’a appelé deux fois. Le coup d’État a eu lieu le 23 décembre, et le 27, il m’a appelé en disant de rentrer chez moi et qu’il est responsable de ma sécurité. Il m’a même rappelé à l’occasion qu’il était mon étudiant quand j’étais recteur de l’université de Conakry. Il m’a dit qu’il était même assis sur la même table que ma sœur Marie Madeleine Somparé. Il m’a signifié de ne pas m’inquiéter, que ce n’est pas contre moi qu’ils ont fait le coup d’État, mais pour assurer les arrières du président et sauver le pays de la guerre civile. Avec ça, je me suis retiré. 

Plus tard, il m’a interpellé parce que j’ai reçu l’ambassadeur de Chine au siège du PUP à Cameroun. Il m’a fait la remarque que je ne dois pas faire ça, parce que je suis une certaine personnalité. Il m’a dit que si je dois recevoir des diplomates, il faut qu’ils passent d’abord par le ministère des Affaires étrangères. J’ai dit : monsieur le président, c’est compris. La prochaine fois, je ferai en sorte que mes amis diplomates qui voudraient me voir, passent par les Affaires étrangères. Ce sont les deux fois. 

Guinéenews© : Vous avez dit qu’à la prise du pouvoir par le CNDD, le capitaine Dadis vous a demandés de rentrer à la maison. Où étiez-vous ? 

Aboubacar Somparé :
 J’étais quelque part. Rire ! 

Guinéenews© : Selon vous, qu’est-ce qui a manqué à Dadis dans sa gestion éphémère du pouvoir qu’il vous a arraché dans la journée du 23 décembre 2008 ? 

Aboubacar Somparé :
 Peut-être un contrôle sur ses collaborateurs. Je crois que Dadis était animé de bonne foi et de bonnes intentions. Mais, l’entourage a vite fait de partir à la dérive. Vous savez, le plus souvent en Afrique, ce sont ceux qui vous entourent, qui profitent plus que le chef lui-même. Et ce sont ceux-là qui vous poussent à vouloir prolonger ceci ou cela. Il y a eu de la dérive, c’est-à-dire des choses regrettables comme la journée du 28 septembre. Ça vraiment, je le regrette fortement, parce que jusqu’à aujourd’hui, j’ai honte de tout ce qui s’est passé là-bas. Si le capitaine Dadis avait une plus grande maîtrise sur ses collaborateurs, peut-être qu’on aurait évité tout ce qu’on regrette aujourd’hui. 

Guinéenews© : Quelle appréciation faites-vous de la gestion de la transition, version Général Konaté ? 

Aboubacar Somparé :
 Je félicite le général Sékouba Konaté pour son courage et sa détermination à aller rapidement vers un régime constitutionnel en organisant des élections crédibles le 27 juin prochain. Je souhaite que cette transition se passe dans de très bonnes conditions ; qu’il n’y ait pas de troubles, parce que s’il y a des troubles que je ne souhaite, ça va nous reporter à plus tard encore. 

Ainsi, la Guinée va faire un retour dans la constitutionnalité pour le développement dans un pays démocratique, parce que tant qu’on n’est pas dans un régime où les choses seront réglées par la constitution et la loi, je ne pense pas qu’on puisse se développer. 

Guinéenews© : Quelle analyse faites-vous de la vie politique guinéenne dont certains partis politiques qui sont dirigés par des anciens premiers ministres ? 

Aboubacar Somparé :
 Vous savez les partis politiques en Afrique, le seul employeur et le seul pourvoyeur de biens faits et services, et de richesses, c’est l’État. C’est ça la vérité. 

Il y a cette prolifération de partis politiques, c’est parce que chacun estime à être chef de l’État. Au moins à être membre d’une équipe gouvernementale pour profiter. J’ai toujours dit que la Guinée est malade de ses cadres. Ce sont les cadres guinéens qui font que la Guinée retarde. Chacun ne voit l’avenir que dans l’exploitation de sa situation par rapport à l’État. Au lieu de servir l’État, on se sert de l’État. C’est ce qui est dommage. C’est vraiment dommage pour notre pays. 

Guinéenews© : Comment préparez-vous votre avenir politique ? 

Aboubacar Somparé :
 Mon avenir est très petit. Je disais l’autre jour que je suis en train de jouer les derniers matches de ma vie. J’ai encore quelques expériences à apporter à mon pays, quelques relations à lui donner et contribuer à son développement. 

Après cela, je me retire pour faire mes mémoires pour qu’elles soient des témoignages pour les générations montantes. 

Guinéenews© : Vous étiez l’un des proches du général Conté. Mais vers la fin de son régime, il parait que vous n’étiez plus d’accord sur certains points. Peut-on connaître quelques points de divergence entre vous ? 

Aboubacar Somparé :
 Écoutez ! Ne confondez pas Lansana Conté et son gouvernement. C’est l’action du gouvernement que je critiquais, parce qu’il y avait effectivement beaucoup d’erreurs que le gouvernement commettait parfois, et que je ne manquais pas de dénoncer. Ça c’est dans tous les domaines. Pas seulement dans le domaine politique, mais surtout dans le domaine de la gestion publique. 

Le président Lansana Conté était mon frère et mon collaborateur. Parler d’incompréhension entre lui et moi, c’était rare. Je prenais tout le temps pour lui expliquer de quoi il s’agit. Et il comprenait très bien. Donc, toutes les incompréhensions, c’était avec son gouvernement, mais pas avec lui. 

Guinéenews© : Les élections présidentielles sont prévues pour le 27 juin prochain, allez-vous être candidat ? 

Aboubacar Somparé :
 Tout dépendra de mon parti. Si mon parti me propose, je serai candidat. 

Guinéenews© : Votre mot de la fin….. 

Aboubacar Somparé :
 Je souhaite que la Guinée retrouve rapidement la paix et la démocratie. Que les cadres guinéens soient plus soucieux de l’avenir de leur pays et que les journalistes aussi respectent le minimum de déontologie en étant honnêtes. 

Interview réalisée par Boua Kouyaté


 
Boua Kouyaté
Conakry, Guinée
224.60.49.94.53

Publié dans INTERVIEW

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